Que reste-t-il du surréalisme à l’ère numérique ?

Que reste-t-il du surréalisme à l'ère numérique ?
“Dips Fake” ©Anne Horel

Vous pensiez tout connaître du surréalisme, mouvement artistique majeur fondé et défini dans un Manifeste par André Breton en 1924 ? C’est que vous n’aviez pas prêté attention à ces artistes qui, 100 ans après son apparition, lui font sa fête à l’aide de divers outils numériques. À commencer par l’IA.

De Raphaël Guez à Ari Dykier, de fuse* à Kamyukami, nombreux sont les artistes ces dernières années à surfer avec audace et inspiration sur les idéaux propres au surréalisme, moins dans un souci de prôner un éternel recommencement que de se nourrir de l’esprit révolutionnaire de cette avant-garde – possiblement celle ayant enfanté le plus de stars au sein du monde de l’art (Man Ray, André Breton, Magritte, Dali,…). Un tel parti pris expliquerait en tout cas son influence auprès d’une nouvelle génération, un peu comme ces artistes pop qui, inévitablement, se retournent sans cesse vers la discographie des Beatles ou des Stones.

Se réapproprier l’image des icônes contemporaines, les détourner, s’en moquer au point de les intégrer dans un monde irréaliste, c’est d’ailleurs tout le propos d’Anne Horel, dont les créations prennent forme via l’intelligence artificielle. « Je crois aux cycles et je trouve ça assez magique de penser que l’IA prend un envol aussi considérable au moment où nous fêtons l’anniversaire du surréalisme. Il y a peut-être quelque chose qui nous échappe, qui est de l’ordre de l’invisible. Effectivement, l’esthétique que nous développons avec les IA, nous en rapproche. Pour moi, aucun doute, elles permettent un total renouveau de ce courant », témoigne l’artiste parisienne, née en 1984, dont l’inspiration prend sa source en amont, au sein du dadaïsme. « La découverte en école d’art des collages d’Hannah Höch ou de Raoul Hausmann ne cesse de m’inspirer », précise-t-elle, sans que cela ne surprenne celles et ceux qui connaissent son art, fait de glaces ou de canettes de sodas à plusieurs yeux, de pizzas, de burgers et de célébrités : autant d’éléments du quotidien qui constituent son œuvre surréaliste, dont les influences vont du dadaïsme au Pop Art.

Le rêve comme point de convergence

En collaborant avec l’IA, les artistes s’abandonnent en partie à elle. Bien sûr, ils la guident, lui donnent des consignes ou autres directives, mais ce qui se passe réellement en elle, ils ne le maîtrisent pas totalement. Une partie du processus créatif leur échappe, et échappe ainsi au contrôle de la conscience humaine. La machine va puiser l’inspiration dans sa mémoire – dans ses rêves numériques, pourrions-nous dire -, à la manière des surréalistes dans les leurs ! La notion de rêves est bien l’élément moteur qui rassemble ces deux générations d’artistes. « À son tour, l’intelligence artificielle nourrit le big data qui constitue alors une forme d’inconscient collectif désormais matérialisé et auquel nous avons accès », ajoute Anne Horel, qui profitait de la dernière édition du KIKK Festival pour présenter Dips Fake, un court-métrage réalisé en IA avec, comme personnage principal, un personnage hybride, à situer entre un enfant et une patate.

Vue sur un désert rouge, à la manière de ceux peints par Dali.
The Anger Falls Silent, 2024 ©Obvious/Danysz gallery

Vers une création immédiate et directe 

Les premiers surréalistes utilisaient les outils de leur époque, comme la méditation ou l’hypnose, afin de capturer le subconscient et de le retranscrire dans des créations, picturales ou écrites. Désormais, place à l’IA. Fruit de recherches menées avec l’équipe scientifique de l’ICM (Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, Paris), la nouvelle série du trio de plasticiens Obvious, baptisée Imagine, découle d’un processus visant à reconstruire des images imaginées dans leur tête, à l’aide de l’intelligence artificielle et d’enregistrements effectués grâce à des IRM, sans autre geste que celui de la pensée.

« Les algorithmes que nous déployons sont directement inspirés de la créativité humaine et du fonctionnement du cerveau, précisent-ils, l’air convaincu. Notre démarche est donc à la fois scientifique et artistique. Nous nous inscrivons ainsi naturellement dans la continuité des travaux du courant surréaliste, initié par des scientifiques qui s’intéressaient de près au développement de méthodes permettant l’exploration et l’expression du subconscient. Nous sommes persuadés que les surréalistes de l’époque, dans cette quête, se seraient emparés de nos outils. Nous pensons que l’IA, et particulièrement la technique de mind-to-image que nous avons développée, donnera un nouveau souffle au courant surréaliste ». Cette technique permet notamment à Obvious de générer des images directement à partir de l’activité cérébrale, réalisant ainsi un siècle plus tard le souhait des surréalistes qui tendaient vers une création immédiate et directe, à l’image de l’écriture automatique. 

Tableau d'un homme bleu avec divers éléments qui sortent de son visage.
Stringing Victories, 2024 ©Obvious/Danysz gallery

Un dialogue entre art et science 

En 1919, André Breton et Philippe Soupault avaient baptisé leur texte fondateur sur l’écriture automatique Les champs magnétiques, exprimant ainsi l’idée que des ondes et des vibrations permettraient de donner accès à l’invisible, plus précisément à des éléments que les yeux seuls ne sauraient discerner. Grâce à leurs travaux, les trois membres d’Obvious se présentent comme des neuro-surréalistes et donnent à voir cet invisible inconscient. Très vite, en participant ainsi à un plus large dialogue incessant entre art et science, ils pourraient bien matérialiser nos rêves et ainsi faciliter leurs analyses par des psychanalystes.

Réinterprétation d'un tableau de Max Ernst par l'IA.
La Machine 100 Têtes ©Grégory Chatonsky
Réinterprétation d'un tableau de Max Ernst par l'IA.
La Machine 100 Têtes ©Grégory Chatonsky

Sur la voix d’André Breton

D’autres artistes, comme Grégory Chatonsky, s’amusent à nourrir l’lA d’œuvres surréalistes et à interpréter son regard sur ce courant qui lui ressemble tant. À l’âge de huit ans, l’artiste franco-canadien a reçu en cadeau un livre de Max Ernst, fait de textes et d’images, ne sachant pas lequel des deux était le point d’entrée dans l’œuvre ! Alors, grâce à une intelligence artificielle, il a recréé des images à partir du texte que nous pourrions qualifier de surréalisme 2.0, et qui sont rassemblées désormais dans un beau livre, La Machine 100 Têtes. « Cela me fascinait de voir à quel point les mauvaises interprétations de Dall-E pouvaient raconter une tout autre histoire, presque une version contre-factuelle du livre de Ernst », nous confiait-il.

Au-delà des influences et des prolongements du surréalisme, l’IA permet aussi de redonner vie aux précurseurs. En septembre dernier, l’Ircam est en effet parvenue à recréer la voix d’André Breton pour l’exposition Surréalisme au Centre Pompidou. Dès l’entrée, elle retentit, guidant le visiteur entre réalité et rêve, intelligence artificielle et humaine… la boucle est bouclée !

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