Films immersifs, œuvres cybernétiques, performances VR, installations numériques… Petit récapitulatif des œuvres qui ont marqué ces douze derniers mois, et qui continueront, même dans plusieurs années, d’être les emblèmes d’une année 2024 défricheuse d’idées nouvelles.
Membrane, de Philippe Parreno
Culminant à 14 mètres de haut, à la manière d’une tour de contrôle, la sculpture cybernétique de Philippe Parreno est équipée d’un système de détection qui collecte toutes sortes de données environnementales : la température, l’humidité, la vitesse du vent ou encore les vibrations infimes du sol deviennent ici des éléments de langage, une matière générative qui donne vie à « ∂A » (prononcez « delta A »). Une nouvelle façon de s’exprimer matérialisée par la voix de l’actrice coréenne Bae Doona, qui envoie ensuite des informations au coeur de la Fondation Beyeler, en Suisse, devant laquelle l’œuvre est présentée afin de donner des indications aux autres travaux de Parreno. Membrane, « dotée de capacités sensorimotrices et de traitement génératif du langage », impressionne donc doublement : par sa forme science-fictionnelle, et par la mise en œuvre d’un circuit d’un nouveau genre où la technologie alimente l’art.
Liquid Love Is Full of Ghosts, de Marilou Poncin
Présenté aux Rencontres d’Arles 2024 et à la galerie parisienne Spiaggia Libera, Liquid Love Is Full of Ghosts de Marilou Poncin explore les fantasmes à l’ère digitale. Comment désire-t-on en 2024 ? De quelle manière se matérialisent les liens du corps ? Quels fantasmes se matérialisent à l’ère digitale ? En mettant en scène différents personnages au sein d’une œuvre où se mêle photo, installation vidéo et références cinématographiques (David Cronenberg en tête !), l’artiste française dresse un panel d’amoureux du 21ème siècle et, l’air de ne pas y toucher, met en scène le concept de machines désirantes.
La fille qui explose, de Caroline Poggi & Jonathan Vinel
Entre leur présence à la Quinzaine des cinéastes à Cannes (Eat The Night), le prix reçu au Locarno Film Festival (La fille qui explose) ou la sortie de leur monographie (Infinite Memory), il y a fort à parier que l’année 2024 a été particulièrement intense pour Caroline Poggi & Jonathan Vinel. Une juste récompense pour le duo, qui ose les croisements entre les codes cinématographiques et ceux héritées du jeu vidéo. La fille qui explose, par exemple, c’est l’histoire de Candice, une jeune fille qui explose tous les jours depuis trois mois ; c’est un film immersif entièrement réalisé en images de synthèse, générées via le moteur de jeux vidéo Unreal Engine 4 ; c’est aussi un dessin animé tout sauf mignon dans laquelle la détresse et l’horreur subie par l’adolescente permet d’interroger l’angoisse généralisée qui gangrène notre époque.
Conversation With Sun, d’Apichatpong Weerasethakul
Toute première expérience VR du cinéaste et artiste visuel Apichatpong Weerasethakul, Conversation With Sun frappe fort. Présenté dans la grande salle du Centre Pompidou à l’occasion du dernier Festival d’Automne, le projet implique pleinement le corps du spectateur, lequel ne se contente pas uniquement de contempler passivement ce qu’il observe dans le casque, mais induit au contraire une déambulation autour d’un grand écran trônant au milieu de l’espace. De quoi permettre une véritable confrontation entre mondes réels et virtuels. Avec, toujours, cet amour de la nature si récurrent dans la filmographie du réalisateur thaïlandais.
Ito Meikyū, de Boris Labbé
L’expérience en réalité virtuelle de Boris Labbé (dont l’interview est à retrouver dans notre newsletter éditoriale #35) est une véritable ode à la culture japonaise, à une tradition artistique profondément liée au pays du Soleil Levant, notamment aux Fukinuki Yatai, au Dit du Genji et aux Notes de Chevets. Auréolé du Grand Prix lors de la dernière édition de Venice Immersive, Ito Meikyū est un dessin animé déployé à la manière d’un grand kaléidoscope où les scénettes s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Depuis, l’œuvre a également été présentée à la Biennale Chroniques et au Drawing Lab Project : autant d’occasion d’aller à la rencontre de ce travail en VR d’une maîtrise rare, qui associe à la perfection technologie et tradition, grâce à des dessins réalisés à la main d’une grande beauté.
Idiom, de Pierre Hyughe
Langage inconnu qui s’autogénère, Idiom a su séduire le collectionneur François Pinault, probablement sous le charme du caractère innovant présentée dans le cadre de l’exposition Liminal, à La Punta Della Dogana. Matérialisé par un masque en or doté de capteurs, Idiom est voué à être porté par des humains muets, qui ne peuvent communiquer que grâce à des informations converties en syntaxe et en phonèmes particuliers grâce à l’intelligence artificielle qui les anime. Incroyablement esthétique, propice à toute forme d’imagination, l’une des dernières créations de Pierre Huyghe se reçoit ainsi comme une œuvre humanoïde, presque robotique, prête à créer dans son sillage une communauté de cyborgs évoluant avec leurs propres codes et leur propre langage.
Champ de Bataille, de François Vautier
Associer prises de vue réelles et réalité virtuelle ? Pari accepté (et réussi) pour François Vautier, qui propose ici une nouvelle manière de voir et de raconter la Première Guerre mondiale. Inspiré par les jeux vidéo de guerre, le réalisateur français a souhaité immerger totalement le spectateur au cœur des tranchées, dans l’idée de se détourner de cette fameuse mise à distance prônée par des Call of Duty et autres blockbusters vidéoludiques. Une vraie prise de risque qui a conduit son auteur dans de multiples festivals en 2024 (le GIFF Festival, Venice Immersive, War On Screen), tous sous le charme de cette œuvre qui annonce possiblement un autre avenir à la production VR.
Doku, de Lu Yang
Présenté à la Fondation Louis Vuitton, le film immersif de Lu Yang défend le concept « réincarnation numérique » en mettant le corps de multiples avatars numériques à l’épreuve. Une vision 2.0 des préceptes bouddhistes, ô combien futuriste et maîtrisée, qui présente les six voies de la réincarnation possible dans la religion. Grâce à la danse, le cinéaste interroge la notion même d’identité, notamment via cette question : qu’est ce que signifie être un Homme à l’ère post-internet ? En s’appuyant sur de nombreuses références spirituelles ou issues de la pop-culture, Lu Yang tente de répondre de formuler un début de réponse dans un ensemble aussi esthétique que poétique.
An Electronic Legacy, de François Bellabas
C’est au cœur du célèbre Monoprix d’Arles que François Bellabas, lauréat du Prix Découverte de la Fondation Louis Roederer, a présenté son projet An Electronic Legacy, qui questionne la place des nouvelles technologies et de l’IA dans le médium photographique. Dans une Californie fantasmée, le réel et la fiction se brouillent, le vrai devient difficile à démêler du faux… Une façon subtile d’interroger la création à l’ère de l’intelligence artificielle et du deepfake, certes, mais qui pose au final une seule question : est-ce vraiment important de savoir ce qui provient du vrai monde, et ce qui provient du monde virtuel, tant que le résultat est beau ?
Volcanahita, de Yosra Mojtahedi
Découverte lors de la dernière édition du Festival international Vidéoformes à Clermont-Ferrand, l’installation immersive de l’artiste iranienne Yosra Mojtahedi (à qui l’on doit également l’un des moments forts de la Biennale Chroniques), forgée dans le métal recyclé, s’inspire du récit mythique d’Anahita, déesse des eaux immaculées, de l’activité bouillonnante des volcans et de la notion du corps, tabou dans le pays d’origine de l’artiste. Une oeuvre organique, doucement robotique, dans laquelle les tuyaux deviennent des artères animées par des pompes dans un ensemble post-apocalyptique du plus bel effet. Lequel explore la mort et la renaissance, la destruction et la
régénération dans un cycle de vie infini.